L'économie mondiale devrait continuer à résister au choc de taux réels au cours du premier semestre 2024, mais les marges de manœuvres seront épuisées au second semestre, laissant apparaître une spirale récessive. La complaisance des marchés peut s’expliquer par la structure en « barbell » des canaux d’endettement post-Covid : les nouveaux crédits se concentrent entre dettes souveraines du G10 (réputées sans risques) et dettes privées non-soumises à la pression du “mark-to-market”.
L'immigration et la résilience des prix des actifs (logement, actions) sont des éléments clés de l'atterrissage en douceur qui a prévalu en 2023. Mais ces mêmes facteurs seront exploités par les partis populistes pour légitimer des politiques inflationnistes une fois la récession installée.
En Chine, le saupoudrage de plans de relance successifs et les injections de liquidité sont suffisants pour stabiliser la croissance au S1 sur un maigre 4%. Mais ce gradualisme ne peut suffire à vaincre le spectre d’une déflation par la dette. Une réponse holistique au surendettement immobilier est nécessaire, mais elle se heurte à d’âpres résistances politiques.
Au sein des marchés de dettes souveraines, le choix des maturités est aussi important que la trajectoire du marché du fait du bras de fer entre le pic sur les taux directeurs et la moindre proportion d’acheteurs insensibles aux prix des obligations. Les marchés de crédit conserveront leur première place en termes de couple performance ajustée des risques, mais les vents contraires macroéconomiques du second semestre renforceront la nécessité de sélectionner des émetteurs aguerris à la hausse du cout du capital. Sur le marché des actions, les conditions sont en place pour voir une diversification des moteurs de performance. La croissance des résultats est un puissant moteur de performance, mais il faudra tenir compte de la volatilité des bénéfices par actions. Les marchés émergents semblent particulièrement adaptés à cette quête de diversification, notamment soutenus par la faiblesse du dollar et par la stabilisation de l'économie chinoise.
Perspectives économiques – Raphaël Gallardo, Economiste en chef
”Les économies développées ont remarquablement résisté à la forte hausse des taux réels depuis 2022 (qui devrait culminer en 2024 avec une normalisation des taux japonais). Cependant, nous ne croyons pas à la thèse d'un taux neutre structurellement plus élevé. Au contraire, la transmission du choc de taux aux économies a été ralentie par des facteurs transitoires qui s'épuiseront dans le courant de l'année 2024. La perte d’altitude graduelle devrait donc se poursuivre au premier semestre 2024, suivi d'un atterrissage récessif au second semestre, initié aux États-Unis.“
”Aux États-Unis et en Europe, le processus récessif passe par la compression des marges bénéficiaires. Hausse des pertes d’emplois définitives et remontée des défauts de paiement (ménages et entreprises) attestent de sa mise en branle. Toutefois, la cinétique du mouvement est entravée par des facteurs exogènes. Du côté des entreprises, une trésorerie abondante protège les marges du choc d’un refinancement à taux plus élevés ; par ailleurs, le fort rebond de l’immigration fait baisser la pression sur les salaires dans le secteur des services. Du côté des ménages américains, les taux d'épargne sont maintenus artificiellement bas par l'excès de liquidités et des patrimoines toujours gonflés par des valorisations dopées au “Quantitative Easing”.”
“La complaisance des marchés peut s’expliquer par la structure en « barbell » des canaux d’endettement post-Covid : les nouveaux crédits se concentrent entre dettes souveraines du G10 (réputées sans risques) et dettes privées non-soumise à la pression du « mark-to-market ». Ce grand écart freine la propagation des défauts dans le système, mais au prix d’une réduction des marges de manœuvre de la politique économique (déficit budgétaire) et de la capacité à assainir les bilans une fois la crise venue.”
“La hausse de l'immigration et la compression des primes de risque financier ont joué un rôle positif majeur dans l’atterrissage en douceur qui a prévalu en 2023, mais au prix d’une aggravation de la crise du logement (prix inabordables), une intensification des inégalités et un rebond des récupérations identitaires. Autant de griefs qui feront le jeux des forces populistes lors de prochains scrutins (parlement européen, présidentielle américaine), avec pour conséquence l’accélération de la mise en œuvre de politiques inflationnistes en réponse à la récession (largesses fiscales, protectionnisme, fermeture des frontières).”
“En Chine, le trou noir de l’immobilier plombe toujours la confiance des investisseurs privés comme internationaux. La succession de mini-plans de relance et la récente détente géopolitique avec les États-Unis devraient suffire à stabiliser la croissance autour de 4 % au premier semestre 2024. Un retour à une croissance plus politiquement acceptable de 5% exige un abandon du gradualisme au profit d’une approche holistique combinant restructuration de toutes les dettes liées à l’immobilier (y compris celles des autorités locales et des LGFV1, leurs véhicules de financement ad hoc), nationalisation des pertes, recapitalisation des banques et relance de la consommation privée. Un tel « saut quantique » dans la conduite de la politique économique prendra du temps en raison de sa complexité et des résistances qu’il suscite parmi les dirigeants locaux.”