Dans un environnement de financement en pleine mutation, la dette privée adossée à des actifs immobiliers réels s'impose comme une alternative pertinente aux solutions bancaires traditionnelles. Entretien avec Jerome Bottari, de Krios Capital, sur les enjeux et opportunités du secteur.
La dette privée joue un rôle clé dans le financement immobilier, notamment en restructuration. Comment répond-elle aux contraintes bancaires et aux besoins accrus de flexibilité ?
Face aux réglementations accrues (Bâle III, Bâle IV) et au resserrement des critères d’octroi des banques, la dette privée comble un vide crucial dans le financement immobilier, notamment dans les projets complexes ou en restructuration.
« Nous analysons les projets avec une approche pragmatique et opportuniste, adaptant notre tolérance au risque selon la nature de l’actif », explique Jérôme Bottari. La dette privée permet une structuration sur-mesure, incluant des solutions telles que la mezzanine, l’unitranche ou le bridge financing, tout en offrant une rapidité d’exécution supérieure aux circuits bancaires. En outre, la flexibilité des covenants, l’intégration du PIK (Payment-in-Kind) et des maturités ajustables facilitent la restructuration des financements.
Les investisseurs en dette privée doivent également prendre en compte la capacité du sponsor à exécuter le projet et à gérer efficacement les risques opérationnels. Une due diligence approfondie et une évaluation de la valeur réelle de l’actif immobilier sont essentielles pour garantir une rentabilité optimale. « L’environnement inflationniste et la volatilité des taux ont renforcé l’importance d’une analyse granulaire, en tenant compte des fondamentaux du marché immobilier », précise Jerome.
Avec la hausse des taux et la volatilité, comment structurer un financement en dette privée pour optimiser rendement et maîtrise du risque ?
La remontée des taux impose une structuration rigoureuse des financements en dette privée. « Nous ajustons notre approche en fonction du cycle immobilier, en naviguant entre dette senior, mezzanine et réméré pour optimiser le couple rendement/risque », explique Jerome.
L’indexation sur l’EURIBOR avec des floor et cap permet de limiter la volatilité des taux, tandis que le maintien de ratios Loan-to-Value (LTV) prudents préserve la sécurité des investissements. Par ailleurs, une gouvernance stricte, incluant des covenants rigoureux et un suivi opérationnel rapproché, limite les dérives potentielles. Enfin, les maturités courtes (12 à 36 mois) et les clauses de remboursement anticipé assurent une meilleure adaptabilité aux cycles de marché.
L’utilisation d’instruments hybrides, comme les obligations convertibles, permet également d’améliorer le rendement tout en offrant un alignement d’intérêts entre investisseurs et sponsors. Dans un contexte de marché plus sélectif, la capacité à structurer des financements avec des sûretés renforcées et des niveaux de subordination ajustés devient un facteur clé de succès. De plus, l’analyse fine de la qualité des cash-flows sous-jacents et des fondamentaux de l’actif permet d’anticiper les risques de refinancement et d’optimiser les décisions d’allocation en fonction des perspectives économiques.
Les acteurs non bancaires, comme les fonds et family offices, gagnent du terrain. En quoi leur approche du financement immobilier diffère-t-elle des banques ?
Les fonds et family offices gagnent en influence sur le marché du financement immobilier, offrant une agilité inégalée par rapport aux banques.
« Contrairement aux établissements bancaires soumis à des ratios prudentiels stricts, nous opérons selon une logique d’investissement, en arbitrant les risques selon nos propres objectifs de rendement », souligne Jerome. Cette liberté permet de structurer des financements sur-mesure, avec des options hybrides telles que l’equity-kicker ou parfois des dettes convertibles. L’absence de comités de crédit complexes accélère également le processus, avec une exécution moyenne en six à huit semaines, contre plusieurs mois pour une banque.
Les acteurs non bancaires disposent également d’une plus grande flexibilité pour structurer des financements sur des classes d’actifs spécifiques, comme les résidences étudiantes, les actifs logistiques, l’infrastructure ou les bureaux.
L’essor de la dette privée attire un large éventail d’investisseurs. Quels critères clés et segments immobiliers privilégier pour une allocation pertinente ?
L’essor de la dette privée attire un panel d’investisseurs étendu, mais une sélection rigoureuse des actifs et des sponsors reste essentielle. « Nous privilégions les segments résilients comme le résidentiel prime, la logistique ou les bureaux core+, tout en évitant les marchés peu liquides », explique Jerome.
L’alignement des intérêts avec les porteurs de projets est crucial : les sponsors doivent démontrer un solide track-record et un engagement financier significatif (« skin in the game »). Par ailleurs, une diversification géographique et réglementaire permet de maîtriser les risques liés aux évolutions fiscales et juridiques.
Une allocation efficace repose également sur une analyse fine de la durée des cycles immobiliers et de la dynamique des taux d’occupation, notamment dans les zones urbaines attractives. « La gestion active des portefeuilles de dette privée est devenue un élément central pour maximiser la performance, en intégrant une approche dynamique des valorisations et des taux de recouvrement », conclut Jerome.
En répondant aux contraintes des financements bancaires, la dette privée constitue une alternative agile et performante pour les investisseurs en immobilier. L’adaptabilité des structures, la rapidité d’exécution et la possibilité d’une analyse fine des actifs permettent de saisir des opportunités stratégiques tout en optimisant le rendement-risque.