L’inflation n’est pas en soi l’hydre anti-prospérité que l’on nous présente. Mais ses effets induits sur les acteurs économiques peuvent générer un brutal ralentissement de l’activité.
Depuis fin 2021, la même angoisse mensuelle saisit les investisseurs : entre le 10 et le 15 de chaque mois, les nouveaux chiffres d’inflation sont en effet publiés, en Europe et aux Etats-Unis. Un chiffre élevé, supérieur au mois précédent et aux attentes, et c’est la crainte de voir les taux monter et la liquidité se contracter. Donc une pression à la baisse sur les actions et les obligations. A l’inverse, l’allègement des tensions sur les prix et c’est une belle séance qui est anticipée.
Car les banques centrales ne cessent de le rappeler – au moins depuis six mois – leur mission principale est de veiller à la stabilité des prix. Haro sur l’inflation ! Elles sont donc prêtes à renchérir autant que nécessaire le loyer de l’argent, quitte à casser la croissance. Neel Kashkari, le président de la Fed de Minneapolis l’a rappelé le 6 mai dernier : si les perturbations des chaines d’approvisionnement mondiales ne se résolvent pas rapidement, la Fed devra peser sur la demande jusqu’à générer une récession pour ramener la hausse des prix à l’objectif de 2% annuel. Fichtre !
Pourtant, l’inflation n’est pas, historiquement, un obstacle insurmontable à la prospérité des citoyens et à la vigueur de la croissance économique. Bien sûr, les épisodes d’hyper-inflation de la République de Weimar dans les années 1920 ou plus récemment au Zimbabwe de Robert Mugabe, ont détruit le tissu productif et social dans des proportions gigantesques et avec des conséquences dramatiques.
Mais des séquences plus modérées, avec des hausses de prix inférieurs à 10% voire à 15%, ne montrent pas d’incompatibilité avec une trajectoire économique satisfaisante. Ainsi, en 2018, des chercheurs de l’université de Berkeley n’ont pu démontrer que l’inflation des années 1970 aux Etats-Unis avait perturbé la perception du « signal-prix » par les agents économiques. En 1996, une étude de la Banque Mondiale avait même conclu à l’absence d’impact significatif de l’inflation sur la croissance réelle dès lors que les hausses de prix étaient inférieures à 40% annuellement !
Reste l’épineuse question des salaires réels. Jusqu’ici, la rapidité de la montée de l’inflation – passée de 1,4% en janvier 2021 à 8,5% quinze mois plus tard aux Etats-Unis – n’a pas permis à ceux-ci de s’ajuster, malgré les récentes hausses. Néanmoins, comme le rappelait récemment l’hebdomadaire The Economist pour les pays de l’OCDE, depuis 1990, les séquences d’inflation supérieures à 5% ont toutes été suivies, en moyenne, par des hausses de salaires réels. Il faut juste laisser du temps pour que ceux-ci s’alignent.
Alors pourquoi tant de craintes ? Et surtout, pourquoi risquer une récession dans ces conditions en resserrant la politique monétaire à marche forcée ? La première raison, essentielle lorsqu’il s’agit de l’euro, est de préserver la crédibilité de la monnaie. Dans le cas de l’euro, le renforcement continu du dollar et les interrogations jamais totalement éteintes autour d’une possible implosion de l’Union Monétaire pèsent sur les décisions de Francfort. C’est sans doute le point clé qui a décidé les officiels de la BCE à annoncer désormais clairement de premières hausses de taux dès cet été malgré une situation inflationniste moins inquiétante qu’Outre-Atlantique.
Mais la raison fondamentale tient à la place centrale qu’occupe le sujet de la hausse des prix – et de son corollaire, le pouvoir d’achat – dans la psychologie des citoyens et donc dans leurs choix économiques, et politiques.
Publiée en 1997, une étude de Robert Schiller, de l’université de Yale, a ainsi démontré que l’inflation était assimilée par deux tiers des américains à un comportement répréhensible des entreprises, que plus de la moitié plaçait la lutte contre celle-ci au même niveau d’importance que la lutte contre la drogue ou l’investissement dans le système éducatif, et que 46% souhaitaient que les autorités enclenchent une déflation – une baisse des prix – après un pic d’inflation, ce que très peu d’économistes recommandent.
Plus que les coûts économiques directs, ce sont donc ceux, indirects, générés par les effets psychologiques, sociaux et politiques de l’inflation qui sont à craindre. C’est pourquoi il est important que les discours des banques centrales restent fermes pour éviter d’ancrer trop haut les anticipations de hausses de prix.
Quant aux actes qui suivront, les investisseurs espèrent qu’ils resteront modérés et laisseront le temps d’apprécier leurs conséquences sur l’économie, tant il n’est pas sûr du tout qu’in fine, les citoyens soient reconnaissants à leurs grands argentiers d’avoir précipité leurs économies en récession quelques mois à peine après la fin des restrictions liées à la pandémie.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste
Référence : https://montpensier.com/fr-lu/inflation-psychologie-et-realites/