La gestion d’actifs, qu’ils soient liquides ou illiquides, se positionne au cœur des préoccupations des investisseurs modernes. Cet aspect est essentiel pour les gestionnaires de fonds, qu’ils soient à la tête d’un family office ou qu’ils collaborent avec des entrepreneurs, des clients particuliers, des entreprises ou des investisseurs institutionnels. Cependant, la question de la liquidité ne revêt pas la même importance pour tous et n’est pas abordée de la même manière par les différents acteurs du secteur financier.
« Pour allouer un patrimoine sur 10 ans, il faut rester le plus aveugle possible aux phénomènes à court terme, car bien que le court terme donne des indications, il entraîne souvent des décisions qui portent peu de fruits sur une décennie », explique Rémi Douchet, co-fondateur d’iVesta Family Office.
L’expert financier, entouré d’autres spécialistes du secteur, a partagé son avis lors du premier panel du Luxembourg Wealth Day. Son établissement accompagne depuis une dizaine d’années un certain nombre d’entrepreneurs de première génération, y compris des héritiers et ceux qui ont lancé leur entreprise sans soutien. Beaucoup d’entre eux ont vendu leurs entreprises avant d’entrer dans l’univers des family offices.
Une approche adaptée face aux nouveaux defis
iVesta Family Office n’a changé sa stratégie d’allocation d’actifs qu’à la marge notamment pour saisir l’opportunité des stratégies d’investissements en secondaire fort opportunes dans un contexte de remontée des taux et de retrait du soutien de liquidité des banques centrales. Cette dernière permet notamment de mieux adresser la problématique de liquidité liée aux investissements non cotés (concept du DPI ou Distributed to Paid-In). Contrairement au concept de IRR (Internal Rate of Return) qui se concentre sur la rentabilité attendue d’un investissement, le DPI mesure le capital total qu’un fonds a rendu à ses investisseurs. Le besoin de retour à la liquidité de nombreux investisseurs institutionnels notamment ainsi que le fort ralentissement du volume d’opérations de M&A ou d’IPOs ont rendu ces stratégies de secondaire (équivalent au marché de la seconde main) très opportunes. Le DPI devient ainsi pertinent en période de ralentissement économique car les distributions des fonds sont mécaniquement ralenties.
« C’est un peu comme pour les produits structurés : les gens ont acheté une promesse de rendement taux sans avoir conscience du risque et se retrouvent, quand le marché chute soudainement, avec le risque mais sans rendement », explique Remi.
L’investissement en secondaire, c’est-à-dire l’acquisition d’actifs déjà matures avec une éventuelle décote, est une bonne opportunité en termes d’amélioration du DPI (à savoir le montant distribué/montant investi). D’après l’expérience du co-fondateur d’iVesta Family Office, la gestion des flux de trésorerie est cruciale pour les investisseurs privés qui pour certains ayant été parfois aveuglés par les promesses de rendement du non coté, en ont oublié une des contraintes principales : celle du temps long. Ses clients, ayant déjà vendu leur entreprise avec succès, disposent de liquidités importantes mais n’ont pas forcément 15 ans avant d’obtenir des retours de cash. Ils doivent donc construire leur stratégie en fonction de leur BFR (besoin de train de vie). « Ce n’est pas de la magie, surtout si vous n’achetez pas à décote, vous bénéficiez en revanche d’une antériorité car le cash est déjà déployé depuis plusieurs années, vous obtiendrez plus vite des retours de liquidité », précise-t-il. Investir en secondaire est donc une manière d’engranger des gains plus rapidement.
L’impact de la remontée des taux
Au cours de la dernière décennie, les actifs liquides ont souvent été considérés comme « le parent pauvre », selon David Seban-Jeantet, Directeur des Investissements de Société Générale Investment Solutions, également présent lors du Luxembourg Wealth Day. Il souligne que, pour générer une performance satisfaisante durant cette période, il était impératif de se tourner vers les actifs privés. Selon lui, la hausse des taux par les banques centrales a provoqué un changement de paradigme. Pour Société Générale Investment Solutions, cela a permis de bénéficier de rendements plus élevés et d’offrir davantage de confort aux portefeuilles de ses clients. « Cela projette nos portefeuilles sur des trajectoires de performance bien supérieures à celles que nous avions précédemment », ajoute David Seban-Jeantet.
La clientèle de Société Générale Investment Solutions est très diversifiée, incluant des particuliers, des entreprises et des investisseurs institutionnels. Sur les marchés actions, David Seban-Jeantet note un potentiel de croissance important notamment au travers des Mégacaps qui délivrent une croissance robuste à travers les cycles. Détenir des actions de ces multinationales dans un portefeuille représente un actif de grande valeur. « Même le meilleur VC ne fera pas aussi bien que Nvidia, et pourtant elle est cotée en bourse. Ce phénomène témoigne d'une dynamique retrouvée des marchés, reflet de la forte pondération des grands indices dans ces Megacaps de croissance», observe David Seban-Jeantet.
Le private equity décorrélé des marchés
Dans l’univers du private equity, les actifs liquides sont moins déterminants. C’est le cas pour Astorg, une société d'investissement privée basée à Luxembourg. Son CIO, François de Mitry, se concentre principalement sur les actifs non cotés, échappant ainsi aux fluctuations des marchés publics ou réglementés. Dans le cadre des fonds de private equity, la période d’investissement est également beaucoup plus longue.
«Si vous investissez dans un fonds aujourd'hui, le capital sera déployé entre 2024 et 2029, ce qui permet une certaine indépendance vis-à-vis des fluctuations économiques. Les principes du private equity exigent également de ne pas concentrer tous les investissements dans une seule année, conformément à des règles strictes », précise-t-il. Ainsi, le private equity se révèle assez décorrélé des marchés comparé aux actifs liquides.
Valoriser deux fois, investir une fois
Quelle que soit la classe d’actifs, la valorisation joue un rôle primordial. Astorg privilégie d’abord la méthode des comparables boursiers, qui permet d’estimer la valeur d’une entreprise en se basant sur les valorisations d’entreprises cotées similaires. La société d'investissement privé tient également compte des transactions comparables réalisées dans le secteur visé.
« Les sous-évaluations et surévaluations sont inévitables sur le marché. Les investisseurs se focalisent sur l'écart entre la valorisation comptable et le prix de vente, un indicateur clé de la santé de l'actif », ajoute-t-il.
Chaque méthode d’évaluation produit un résultat différent, généralement basé sur des prévisions de croissance du marché ou sur des niveaux d'endettement. Tous les investisseurs cherchent ainsi à atteindre un effet similaire. « Un fonds qui cède des actifs pour moins que leur valeur comptable démontre une tendance à la survalorisation. Les investisseurs en private equity scrutent ces signaux pour déterminer si le gestionnaire présente une vision optimiste ou pessimiste, un critère clé dans le processus de sélection des fonds », conclut François de Mitry.
En définitive, la gestion de la liquidité et la valorisation des actifs demeurent des enjeux centraux pour les investisseurs, surtout dans un contexte de volatilité accrue. Que ce soit via des stratégies en secondaire ou des investissements en private equity décorrélés des marchés, chaque approche vise à maximiser les rendements tout en maîtrisant les risques. L’importance d’une évaluation rigoureuse et d’une adaptation rapide aux conditions économiques s’impose donc comme le levier clé du succès en gestion de patrimoine.