Dans un secteur où la rapidité d’exécution et la précision sont devenues des éléments clés de différenciation, l’intelligence artificielle s’impose comme un levier stratégique incontournable. Son adoption transforme progressivement la gestion de patrimoine et les services financiers, offrant des opportunités considérables mais soulevant également des défis en matière de gouvernance, d’éthique et de réglementation.
Lors du Future of Wealth Forum du 30 janvier, un panel d’experts, modéré par Tommaso Cervellati, Blockchain Specialist et cofondateur d’Olympus Initiative, s’est penché sur l’écart entre les attentes et l’impact réel des technologies de l’IA dans le secteur financier. Réunissant des leaders du domaine, cette discussion a mis en lumière les défis concrets liés à l’adoption de l’IA, notamment les coûts, l’évolutivité et la conformité réglementaire. À travers des études de cas et des retours d’expérience, les intervenants ont exploré comment ces innovations redéfinissent les opérations et améliorent l’expérience client.
L’IA générative : une innovation qui redéfinit les usages
Loris Bergeron, Senior Software Engineer à la Banque de Luxembourg, a partagé son expérience sur l'intégration de l'IA générative au sein de son organisation. « Depuis plus d'un an, nous menons des expérimentations en lien avec l'IA générative, en mettant l'accent sur l’efficience opérationnelle », explique-t-il. Sa banque a fait le choix d'un déploiement 100 % interne, garantissant ainsi une souveraineté totale des données et une maîtrise complète des processus. Cette approche répond à des exigences strictes en matière de sécurité et de conformité aux régulations européennes, tout en limitant la dépendance aux solutions externes.
De son côté, Yannick Huchard, Chief Technology Officer de la Banque Internationale à Luxembourg (BIL), met en avant l'automatisation des processus et les gains d’efficacité permis par l'IA : « Avec des outils internes comme BIL GPT et Polaris, nous avons observé une nette amélioration de la productivité des collaborateurs ». Il insiste sur l'importance de la gouvernance et de l'encadrement rigoureux des technologies IA pour garantir des résultats fiables et exploitables. « La transparence et la traçabilité des décisions prises par l’IA sont essentielles pour maintenir la confiance des clients et des régulateurs », ajoute-t-il.
Supercalculateurs et IA : un levier stratégique pour la finance
Filipe Pais, Chief Customer Officer de LuxProvide, a souligné l’importance des supercalculateurs dans le traitement massif des données et l'entraînement des modèles d’IA. « L'IA ne date pas de ChatGPT. Depuis des années, elle est utilisée pour la modélisation financière, la détection de fraude et l'optimisation des portefeuilles d'investissements. Ce qui change aujourd'hui, c'est l’essor du génératif, qui demande des capacités de calcul sans précédent », explique-t-il.
LuxProvide propose une alternative aux infrastructures on-premise avec MeluXina, un supercalculateur offrant aux banques un environnement sécurisé pour expérimenter des modèles d'IA, sans nécessiter d’investissements massifs en matériel interne. « Nous accompagnons les banques dans le déploiement d’infrastructures souveraines, en garantissant la conformité avec les réglementations européennes sur la protection des données », ajoute-t-il. Cette approche permet aux institutions financières de développer des modèles avancés tout en assurant une transparence et une sécurité accrues.
Automatisation vs contrôle : trouver le bon équilibre
Un des enjeux majeurs de l’adoption de l’IA dans les services financiers reste l’équilibre entre automatisation et supervision humaine. Si l’IA optimise les processus et améliore l’efficacité opérationnelle, elle soulève également des préoccupations en matière de transparence, de responsabilité et de gestion des biais algorithmiques. « L'humain doit rester au centre des processus décisionnels. Nous avons mis en place des outils d'audit et de supervision pour garantir la fiabilité des résultats produits par l'IA », insiste Yannick Huchard.
Un modèle d’IA, aussi sophistiqué soit-il, dépend intrinsèquement de la qualité des données utilisées pour son entraînement. Une mauvaise gestion de ces données peut entraîner des biais ou des erreurs de jugement, impactant ainsi la conformité réglementaire et la confiance des clients. Filipe Pais souligne l'importance d'une approche hybride combinant IA et validation humaine : « Le modèle Explainable AI devient essentiel pour comprendre comment les résultats sont générés et éviter les hallucinations de l'IA ». Contrairement aux systèmes classiques, dont les processus décisionnels sont facilement auditables, l’IA repose sur des modèles souvent opaques, nécessitant des mécanismes de surveillance renforcés.
Pour relever ce défi, les institutions financières adoptent des stratégies combinant technologie et expertise humaine. Plutôt que de déléguer entièrement les décisions aux algorithmes, ceux-ci servent de support aux experts en leur fournissant des analyses affinées et en facilitant la prise de décision finale. Cette synergie permet de renforcer la fiabilité des systèmes tout en assurant un niveau élevé de contrôle.
En parallèle, la mise en place de systèmes de contrôle continus et de tests en conditions réelles devient essentielle. Il ne s’agit pas uniquement d’évaluer la performance des modèles lors de leur conception, mais aussi de surveiller en permanence leur comportement une fois déployés. Des mises à jour régulières et des ajustements itératifs sont nécessaires pour garantir que l’IA continue de répondre aux exigences réglementaires et aux besoins du marché.
Les tendances à venir : l'essor des Small Language Models (SLM)
Alors que les Large Language Models (LLM) comme ChatGPT dominent l'industrie, l'avenir pourrait voir la montée en puissance des Small Language Models (SLM). Loris Bergeron précise : « Les SLM permettent de spécialiser l’IA sur des tâches précises, avec des performances souvent supérieures aux LLM génériques ».
L'optimisation des coûts constitue également un enjeu clé. « Former un modèle génératif coûte des millions d'euros. L'approche la plus réaliste pour les banques consiste à utiliser des modèles pré-entraînés et à les affiner avec du fine-tuning ciblé », ajoute Yannick Huchard. Cette stratégie permet de maximiser l'efficacité opérationnelle tout en minimisant la consommation énergétique et les coûts d’infrastructure, un facteur crucial dans un contexte de transition écologique.
Entre pragmatisme et innovation
L’intelligence artificielle redéfinit les contours des services financiers, mais son adoption doit être encadrée pour garantir efficacité et conformité réglementaire. L’approche hybride, combinant IA et supervision humaine, apparaît comme le modèle privilégié par les experts. « L’IA ne remplacera pas les humains, mais elle augmentera nos capacités et nous permettra d’optimiser nos opérations », conclut Yannick Huchard.
Toutefois, pour assurer une adoption durable, il est essentiel de continuer à investir dans la recherche et le développement, de structurer des cadres réglementaires robustes et de renforcer la formation des équipes internes. Les institutions qui réussiront cette transition seront celles qui sauront intégrer ces technologies avec discernement, en s’assurant qu’elles créent de la valeur ajoutée et non de la complexité inutile.
Alors que l’IA continue d’évoluer, la question n’est plus de savoir si elle s’intégrera dans les services financiers, mais plutôt comment et sous quelles conditions. Les entreprises qui sauront conjuguer innovation, conformité et pragmatisme seront celles qui tireront le meilleur parti de cette révolution technologique.