La nouvelle législation monégasque impose aux marchands de biens des obligations strictes, visant à encadrer la spéculation et à assainir le marché immobilier
En Principauté, l’activité des marchands de biens – ces professionnels qui achètent, rénovent et revendent des biens immobiliers pour générer des plus-values – a longtemps prospéré dans un cadre réglementaire très souple. Cette souplesse a conduit à des pratiques controversées, notamment par certains acteurs dont les méthodes étaient perçues comme spéculatives et peu contributives à la qualité de l'immobilier monégasque. Cependant, un texte législatif publié en juillet 2024, la loi n° 1560, vient bouleverser cet équilibre. Ces nouveaux dispositifs visent à réduire les abus et à instaurer des règles strictes en matière de rénovation, d’enregistrement et de conformité des biens, limitant ainsi la capacité des marchands de biens à maximiser leurs profits sans responsabilités correspondantes.
Des pratiques spéculatives critiquées de longue date
Depuis des années, les marchands de biens bénéficiaient d’un régime fiscal avantageux qui, selon les professionnels du secteur, contribuait à une inflation des prix. Certains marchands de biens en ont profité pour bloquer des biens pendant plusieurs années, sans réelle rénovation, contribuant ainsi à la spéculation immobilière. La spéculation, conjuguée à la rareté des biens disponibles sur le marché, a accentué les pressions sur les prix immobiliers, rendant l’accès à la propriété toujours plus difficile. Face à cette situation, de nombreux acteurs de l’immobilier, notamment les agents, réclamaient un encadrement de l’activité des marchands de biens pour rétablir une certaine équité dans le secteur.
Le gouvernement monégasque, sensible à ces critiques, a progressivement introduit des réformes pour encadrer l’activité. Déjà en 2020, la Principauté avait restreint l’exercice de la profession de marchand de biens aux seuls Monégasques, afin de limiter la concurrence dans ce secteur. En conséquence, le nombre de marchands de biens actifs est passé de 290 en 2019 à 231 en 2024, selon les données officielles. Un chiffre qui reste significatif, d'autant plus pour un territoire de seulement deux kilomètres carrés.
Une exonération des droits d'enregistrement désormais encadrée
Parmi les nouveautés majeures de la loi n° 1560, la fin de l’exonération totale des droits d’enregistrement s’impose comme l’une des plus importantes. Jusque-là, les marchands de biens bénéficiaient d'une exonération complète, leur permettant d’alléger considérablement les coûts lors des acquisitions. Désormais, cette exonération est réduite de moitié et conditionnée au respect de nouvelles exigences. Pour bénéficier de cette exonération partielle, les marchands devront revendre les biens dans un délai de trois ans (contre quatre auparavant), avec une possibilité de prorogation d’un an sur demande.
Une autre obligation concerne la conformité des biens aux normes de sécurité et environnementales au moment de la revente, en particulier les normes électriques et énergétiques. Si le texte initial prévoyait de rendre obligatoires des travaux représentant 5 % du prix d’acquisition du bien, cette disposition a été supprimée lors des discussions parlementaires. En effet, les élus ont jugé ce seuil inadapté, estimant que tous les biens n’exigeaient pas des travaux de cette envergure. À la place, ils ont opté pour une mise en conformité selon les normes en vigueur, en lien avec les objectifs de développement durable de la Principauté. Cette obligation de mise aux normes permettra de garantir un niveau de sécurité pour les acquéreurs et de soutenir les objectifs environnementaux.
Nouvelles obligations : garantie financière et assurance responsabilité civile
Pour renforcer encore davantage les protections pour les acquéreurs, la loi impose aux marchands de biens de souscrire une garantie financière couvrant les droits d'enregistrement. Cette garantie, requise auprès d’une banque monégasque, prend la forme d’une garantie à première demande envers le Trésor, protégeant ainsi l’État en cas de défaillance. En outre, les marchands de biens devront souscrire une assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle, assurant une protection accrue pour les clients contre les éventuels dommages dans le cadre de leur activité.
Ces dispositions sont d’ores et déjà en vigueur depuis le 1er septembre 2024, avec un délai de trois mois pour les marchands de biens déjà en exercice pour se conformer aux nouvelles exigences. En cas de non-respect de ces obligations, des sanctions administratives et pénales pourront être appliquées, comprenant notamment des intérêts de retard et une pénalité dissuasive de 5 % du montant des droits d’enregistrement dus.
L'avis des professionnels de l'immobilier et du Conseil national
Du côté des agents immobiliers, ces nouvelles mesures sont accueillies avec optimisme. Selon eux, l'encadrement de l'activité des marchands de biens devrait réduire le nombre d'acteurs dans le secteur et limiter la spéculation immobilière, permettant ainsi aux professionnels de se concentrer sur une offre de meilleure qualité et moins soumise aux fluctuations spéculatives.
Cependant, certaines voix s’élèvent pour critiquer la suppression de l’obligation de réaliser des travaux de 5 % minimum du prix d’acquisition, jugée insuffisante pour freiner les pratiques spéculatives. « Augmenter ce pourcentage à 10 % aurait pu éviter les activités de pure spéculation et aurait donné un plus grand sérieux à cette profession », soutiennent certaines agences immobilières.
De son côté, le président du Conseil national, Thomas Brezzo, a déclaré qu’il serait opportun de reconsidérer la restriction imposée en 2020 sur les nouvelles autorisations d’exercice, désormais que la profession est mieux encadrée. « Nous pouvons légitimement nous attendre à ce qu’un certain nombre de professionnels mettent un terme à leur activité, dans la mesure où ils ne remplissent pas les conditions définies par le texte », a-t-il affirmé, en plaidant pour une réouverture limitée des autorisations.
Un nouvel équilibre dans un marché tendu
La législation récente représente un tournant pour le secteur immobilier monégasque. En limitant les avantages des marchands de biens et en imposant des exigences strictes en matière de conformité et de protection des acquéreurs, le gouvernement monégasque espère freiner la spéculation tout en favorisant un marché plus équilibré. Ce nouvel encadrement pourrait, à terme, offrir aux agents immobiliers une plus grande stabilité et rendre le marché plus accessible.
Ces mesures s’inscrivent dans un objectif plus large de préservation du parc immobilier monégasque, en renforçant la qualité et la sécurité des biens proposés sur le marché. Les effets de cette réforme seront observés de près dans les années à venir, tant par les professionnels de l’immobilier que par les investisseurs.
Pour en savoir plus, consultez l'article original sur le site de L'Observateur de Monaco : https://lobservateurdemonaco.com/infos/marchands-de-biens-a-monaco-la-nouvelle-loi-devrait-reduire-les-abus.
Image source : Jakub Żerdzicki via Unsplash