L'établissement d'une stratégie patrimoniale multijuridictionnelle présente des défis majeurs en termes de conformité réglementaire et fiscale, nécessitant une maîtrise des règles internationales et la gestion des obligations locales pour éviter la double imposition. Les professionnels doivent anticiper les risques politiques et économiques des juridictions instables et diversifier les investissements en conséquence. La technologie joue un rôle crucial en consolidant des données provenant de différentes juridictions, facilitant une gestion patrimoniale efficace et personnalisée. La mobilité croissante des personnes et des patrimoines oblige les family offices à adapter leurs conseils en tenant compte du droit comparé et des institutions étrangères. Entretien avec Guillaume Lucchini, Président et fondateur du Multi Family-Office indépendant Scala Patrimoine.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de l'établissement d'une stratégie patrimoniale sur plusieurs juridictions, notamment en termes de conformité réglementaire et fiscale ?
La question de la réglementation est prédominante pour exercer le métier de multi-family office. Pour pouvoir accompagner nos clients sur la gestion de leur patrimoine, Scala Patrimoine a notamment dû s’enregistrer auprès de l'ORIAS en qualité d'intermédiaire en assurance (IAS). Nous pouvons, par ailleurs, exercer cette profession au-delà des frontières nationales, par la libre prestation de service (LPS), en fournissant un service dans un Etat membre de l'EEE différent de celui dans lequel elle est établie, grâce au passeport européen, sans avoir besoin d'une présence permanente dans ledit Etat.
Les intermédiaires doivent, en effet, informer l'ORIAS de leur intention d'exercer en LPS dans les pays de l'EEE de leur choix, l'ORIAS notifie cette intention à son homologue du ou des pays cibles dans un délai d'un mois. Dès cette notification, l'intermédiaire est autorisé à exercer dans le ou les pays concernés.
L'intermédiaire d'assurance qui réalise des opérations d'assurance sous le régime de la LPS agit sous le seul contrôle de l'autorité de supervision de son pays d'origine. L'activité de CIF n'est pas concernée par ces dispositions. Relevant d’un statut dérogatoire à la directive MIF, le CIF ne peut pas s’exporter grâce au passeport européen.
Ceci étant dit, depuis plusieurs années, l’expansion de la mondialisation a entraîné une augmentation significative de la mobilité des personnes et de leurs patrimoines. Les professionnels de la gestion de patrimoine ne peuvent plus ignorer cette dimension internationale et sont désormais contraints de maîtriser les règles juridiques et fiscales applicables dans ce contexte pour accompagner et conseiller au mieux leurs clients.
En effet, les individus qui se déplacent successivement dans différents pays en y devenant résidents fiscaux sont confrontés à des obligations de conformité dans chaque État, à leur arrivée, pendant toute la durée de leur résidence, et à leur départ.
Par ailleurs, il peut y avoir en sus des éléments d’extranéité relatifs à leur patrimoine immobilier et/ou financier les amenant à devoir respecter un certain nombre de contraintes réglementaires et fiscales propres à chacun de ces pays d’origine, c’est-à-dire dans chacun des pays où sont localisés des éléments de leur patrimoine qu’ils auront voulu conservés.
Outre des conflits éventuels de résidence fiscale, il peut y avoir des problématiques de double imposition ou de formalité particulière en vue d’éviter cette double imposition entre l’Etat de la source et l’Etat de la résidence.
Ainsi, lors de l’élaboration d’une stratégie patrimoniale sur plusieurs juridictions, les principales difficultés tiennent à bien appréhender en amont ces différents points et à y apporter une réponse qui soit la plus appropriée possible, c’est-à-dire à la fois la plus efficiente et la plus simple.
En particulier, le conseiller patrimonial pourra être amené à engager certaines actions préalablement à l’expatriation, de sorte par exemple de rendre plus liquide le patrimoine, purger la fiscalité sur les plus-values latentes localement, si cela se révèle pertinent et éviter qu’un patrimoine ou des revenus soient appréhendés et potentiellement taxés à la fois dans l’Etat de la source et dans l’Etat de résidence.
Une restructuration sur mesure du patrimoine peut inclure la clôture de certains contrats financiers dans le pays de départ et d’une réouverture de tels contrats (similaires ou différents) dans le pays d’arrivée (et de résidence fiscale) afin d’assurer leur conformité avec la réglementation locale. Ces nouveaux contrats relevant du droit du pays de résidence fiscale, ils ont vocation à être appréhendés fiscalement uniquement avec le prisme de la règlementation locale, ce qui a généralement un effet facilitateur.
L’objectif global est d’adapter le patrimoine à la nouvelle situation de son détenteur, sans que les complexités opérationnelles ou les frictions fiscales n’entravent cette adaptation. Ainsi, le praticien doit intégrer la dimension internationale dans ses recommandations.
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En définitive, le champ d’action du family officer s’élargit considérablement par sa connaissance du droit comparé et par sa pratique des institutions étrangères telles que les trusts ou les contrats d’assurance-vie luxembourgeois, pour ne citer que ceux-là.
Comment un family office peut-il anticiper et gérer les risques politiques et économiques qui peuvent affecter de manière significative les actifs situés dans des juridictions instables ?
L'anticipation et la gestion des risques politiques et économiques affectant les actifs dans des juridictions instables sont des défis complexes pour un family office. Cela nécessite une analyse approfondie basée sur des informations provenant de sources variées, telles que la presse généraliste et spécialisée, ainsi que des rapports et analyses régulières émis par divers intervenants de la chaîne d'investissement. La sécurité des actifs est primordiale et représente une préoccupation majeure pour les clients.
Même les pays réputés stables doivent être analysés en fonction de l'actualité économique et politique. Par exemple, en France, les récents événements politiques, tels que la dissolution de l'Assemblée nationale ou les questions de majorité parlementaire, peuvent créer des incertitudes impactant la valeur des actifs.
Pour gérer ces risques, il est crucial de minimiser l'exposition des clients aux juridictions instables. Une stratégie efficace consiste à diversifier les allocations et les investissements en tenant compte de la stabilité des pays concernés. En allouant des ressources à des pays plus stables, un family office peut mieux protéger les actifs de ses clients contre les fluctuations politiques et économiques.
En termes de diversification du patrimoine, comment évaluez-vous les opportunités d'investissement dans de nouveaux marchés ou secteurs émergents tout en maintenant un équilibre avec les risques associés ?
Investir dans de nouveaux marchés ou secteurs émergents présente de belles opportunités de diversification. Pour naviguer efficacement dans des eaux souvent agitées, il est crucial de recruter des spécialistes disposant d’une expertise approfondie dans leur domaine de prédilection. Ces experts peuvent alors analyser les tendances, identifier les risques et repérer les opportunités d'investissement les plus prometteuses.
Par ailleurs, s'intéresser de près aux marchés financiers permet de rester informé des évolutions économiques et des dynamiques sectorielles. En travaillant sur l'application d'une gestion patrimoniale sur mesure, nous pouvons adapter le couple rendement-risque aux objectifs et à la situation spécifique de nos clients. Cette approche personnalisée assure un alignement optimal entre les attentes des investisseurs et les opportunités disponibles.
Notre capacité à saisir les bonnes opportunités est renforcée par une gestion libre, indépendante et ouverte sur le monde. Cela nous permet de rester flexibles et réactifs face aux évolutions du marché, garantissant ainsi une diversification patrimoniale équilibrée et rentable.
Quel rôle la technologie et l'innovation jouent-elles dans la stratégie de wealth planning et la gestion des opérations d'un family office multijuridictionnel ?
La technologie et l'innovation jouent un rôle central dans la stratégie de wealth planning et la gestion des opérations d'un family office multijuridictionnel. Les multi family offices ont pour mission de consolider des actifs répartis dans différents pays, ce qui présente un défi considérable en raison des normes variées en termes de systèmes d’information adoptées par chaque institution bancaire. En effet, chaque banque possède son propre cahier des charges en matière d'IT, rendant la récupération et la centralisation des données complexes.
Cependant, les avancées technologiques et les innovations offrent des solutions pour surmonter ces obstacles. Elles permettent de faciliter l'accès à une information complète, fiable, rapide et consolidée, issue des différents partenaires d'un client répartis sur de multiples juridictions. L'utilisation de plateformes technologiques avancées permet de collecter et d'harmoniser ces données disparates, offrant ainsi une vue d'ensemble cohérente et intégrée.
La qualité des sources d'information revêt une importance cruciale dans ce contexte. Une information de haute qualité garantit une analyse précise, qui est essentielle pour élaborer une stratégie patrimoniale efficace. Par ricochet, la fiabilité et la qualité des données influencent directement la qualité de la stratégie finale.