La lettre de MJ&Cie fête ses vingt ans, vos premiers sujets évoquaient déjà la fiscalité européenne, et mentionnaient le family office comme sujet « en pleine ébullition »… quels sont les grands sujets aujourd’hui pour vous ?
Effectivement, notre première Lettre est parue au 1er trimestre 2003, 18 mois après la création de MJ&Cie ! A l’époque c’est le concept du family office qui faisait débat.
Aujourd’hui, comme nous l’annoncions alors, le family office est une évidence. Mais, au-delà de la diversité des modèles, le family office doit évoluer dans un environnement en changement rapide. Il faut donc une forte capacité d’adaptation et d’anticipation. Car les enjeux sont nombreux. Bien entendu, le social, l’écologie, la responsabilité et la durabilité, en d’autres termes l’ESG, sont essentiels. Tant, d’ailleurs, au niveau des family offices eux-mêmes, dans leur pratique et leur organisation, qu’au niveau des prestations qu’ils proposent. Le sens et l’impact seront indispensables à la pérennité des patrimoines privés.
Mais sur un sujet plus prosaïque, le family office est souvent un “objet réglementaire non identifié”. L’accompagnement des familles et des entrepreneurs nécessite beaucoup d’agilité. Sans nier la pertinence d’un cadre réglementaire, il faut éviter qu’il ne devienne contre-productif. Il est donc important que le métier s’organise davantage, au niveau national, européen et international, afin que sa spécificité soit prise en compte par le législateur.
C’est d’ailleurs dans cet objectif que j’ai pris la responsabilité du développement de l’IFFO – international Federation of Family Office - que nous avons créée à l’initiative entre autres, de l’AFFO (Association Française du Family Office).
Ancien d’UFF, mais aussi de NSM (aujourd’hui NOBC) et Merryl Lynch, quels ont été les moments marquants de votre carrière avant de fonder un des premiers MFO de France et de vous investir dans l’AFFO et ENFO ?
Représentant de l’UFF au Gabon pour l’Afrique Centrale, j’ai vécu une aventure extraordinaire ! Mes 10 années suivantes chez Neuflize comme responsable de la clientèle non-résidente, m’ont ensuite permis de me forger un savoir-faire exceptionnel au service de grands patrimoines internationaux. La direction du private banking de Merrill Lynch est venue compléter ce parcours par une ouverture sur les pratiques et expertises anglo-saxonnes. Mais c’est peut-être le projet proposé à NSM à l’époque, de créer un club européen des banques familiales, qui a le plus influé sur mes choix ultérieurs. C’est à cette occasion que j’ai rencontré une banque privée allemande (Sal Oppenheim) qui avait, depuis de nombreuses années déjà, créé une filiale dédiée aux grands clients. J’ai du coup, dès 1995, proposé à NSM de créer une activité de ce type, mais n’ai pas été suivi par ma direction (Neuflize a finalement créé un département de family office en 2015 !). C’est pourquoi, lorsque j’ai décidé de quitter Merrill Lynch en 2001, j’ai souhaité lancer moi-même une telle société. C’est le moment où le terme family office apparaissait, j’ai donc découvert que l’idée qui me trottait dans la tête depuis toutes ces années s’appelait family office ! L’AFFO a été créée en 2001 et je l’ai naturellement rejointe très rapidement, pour en devenir l’un des membres (très) actifs.
Comment caractériser votre clientèle aujourd’hui, conseillée comme visée ?
Comme j’aime à le dire, MJ&Cie est un “multi mono family office”. Nous accompagnons, de façon très personnalisée, sur la durée (nous n’avons jamais perdu de clients depuis 2001), un nombre raisonné de clients, aux profils très variés : de la famille industrielle à l’entrepreneur, du jeune de la tech au CEO de multinationale. La relation humaine, la transparence, l’éthique et le professionnalisme sont au cœur de notre engagement.
Mais nous avons en plus, je crois, un savoir-faire unique pour l’accompagnement de clients internationaux. MJ&Cie Suisse est un hub pour quelques grands patrimoines, souvent très complexes, originaires d’Asie, du Moyen Orient ou d’Amérique. De plus en plus de grands patrimoines internationaux souhaitent localiser une partie de leurs intérêts dans une juridiction leur garantissant sécurité et expertises. L’Europe, le Luxembourg et la Suisse en particulier, sont des destinations de prédilection dans ce cadre. L’éloignement amène ces personnes à recourir à un « trusted advisor » local afin de superviser leurs intérêts.
Nous avons d’ailleurs créé cette année, en Suisse, une nouvelle filiale dédiée au “corporate servicing”, afin de répondre à un besoin identifié chez les entrepreneurs internationaux. Cette filiale, NSC Advisor, opère en Europe, au Moyen Orient et en Afrique et propose, côté “corporate”, ce que MJ&Cie offre côté “private”. Elle a signé son premier contrat, avant l’été, avec un groupe familial à Dubaï.
Enfin notre appartenance à ENFO (European Network of Family Office), dont MJ&Cie est membre fondateur, nous apporte une ressource et une ouverture précieuses.
Vous avez récemment republié une perspective sur les SFO intégrés… MJ & Cie peut-elle intervenir en structuration pour mitiger les risques liés à cette pratique ?
Oui, c’est effectivement une tendance que nous observons depuis quelques années. Des single family offices, tout particulièrement ceux que l’on appelle “embedded family offices”, se tournent vers des multi family offices capables de les accompagner dans leur structuration, voire de sous-traiter certaines prestations. C’est à la fois un moyen pour eux d’accéder à des savoir-faire qu’il serait sinon onéreux d’acquérir, mais aussi de disposer de ressources supplémentaires “à la carte”. Enfin, c’est une ouverture qui leur permet d’améliorer la gestion globale de leurs risques.
Côté marchés, quelle est votre vision sur les différentes classes d’actifs (liquides, illiquides, digital assets) ?
La diversification est la clé bien sûr ! Les règles de bon sens restent vraies en toutes circonstances.
Mais les actifs privés ont historiquement représenté une part significative dans l’allocation de nos clients, et ceci est toujours plus vrai alors que les marchés financiers montrent une volatilité plus délicate à gérer. Nous avons la chance de travailler avec des clients qui ont un horizon long. Les actifs financiers doivent donc surtout servir les engagements et le train de vie, au travers de stratégies diversifiées patrimoniales liquides, à risque modéré. La génération d’alpha étant souvent volatile, nous mixons souvent gestions actives et gestions passives.
Les actifs privés (private equity et private debt, actifs réels, immobilier) servent, pour leur part, davantage la création de valeur sur le long terme. La clé est de déployer des stratégies de long terme et d’étaler les entrées sur plusieurs millésimes (4 à 7 ans). Il faut aussi rester extrêmement sélectif par des règles de due diligence exigeantes, afin d’éviter les effets de mode et les emballements.
Quant aux actifs digitaux, à ce stade, nous les intégrons dans la réflexion au même titre que l’or par exemple, c’est-à-dire comme un hedge (même si cette fonction est encore loin d'être démontrée) à inclure, pour les clients qui y sont prêts, de façon marginale.
Un mot sur la situation de la pierre papier en France actuellement ?
La brutalité de la hausse des taux ne pouvait pas épargner le secteur. Cette situation me fait un peu penser aux Hedge Funds lors de la crise de 2008. Il y avait eu beaucoup d’excès et cette crise a permis un “nettoyage” bénéfique à moyen terme, mais douloureux au début. Les attentes de rendement ont été revues et le marché s’est normalisé. Je pense que l’argent gratuit et les taux négatifs ont créé une distorsion sur beaucoup d’actifs de rendement, l’immobilier en tête, et les SCPI, gros paquebots souvent moins agiles que les fonds immobiliers privés, n’ont pas été suffisamment vigilants sur le risque de leurs engagements.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut délaisser l’immobilier bien au contraire ! C’est souvent dans les crises que se trouvent les meilleures opportunités ! D’ailleurs je rappelle souvent qu’en chinois, crise se dit “risque + opportunité”.
Pour finir, difficile d’échapper au sujet de la guerre des talents. Si les family offices bénéficient de nombre de transfuges des banques privées, le segment commence à faire face à une concurrence forte pour recruter. Pourquoi rejoindre MJ&Cie aujourd’hui, et quels profils recherchez-vous ?
Nous avons un ADN fort de boutique entrepreneuriale. Nous sommes attachés à des valeurs (éthique, responsabilité, citoyenneté, durabilité, transparence) ancrées dans la culture de la société. Nous cherchons une croissance raisonnée, assise sur un engagement de long terme et un professionnalisme au service des intérêts de nos clients. Bref, si nous sommes le pionnier du family office, nous n’en restons pas moins profondément entrepreneuriaux. Nous nous attachons donc, dans nos recrutements, autant aux qualités humaines qu’aux capacités techniques. Et bien sûr, l’international est une force d’attrait.
Compte tenu de notre organisation, nous recherchons des développeurs et, selon les besoins, des consultants/analystes juridiques/fiscaux ou investissements. Enfin, nous pouvons être amenés à renforcer notre pôle client servicing et middle office.
Merci à François Mollat du Jourdin (MJ & CIE) pour cet entretien.