En quoi les processus de descriptions des marchés financiers que vous déployez au sein d’Oriskany sont différents des méthodes dites plus conventionnelles utilisées par d’autres créateurs de stratégie d’investissement tels que des asset managers ? Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu'en est-il des résultats de ces processus ?
Le système financier s’appuie en très grande partie sur une théorie : celle de la Théorie Moderne du Portefeuille (MPT en anglais) et particulièrement de l'efficience des marchés (EMT en anglais). Elles prônent l'idée que les marchés sont toujours "rationnels", qu'ils reflètent parfaitement toutes les informations connues et produisent toujours d'une certaine manière, le "bon" prix ou qu’ils permettent de prévoir aisément une valeur vers laquelle le prix va tendre. Tout cela nous amène à traiter l'économie comme une science exacte, à l'instar de la physique newtonienne, alors qu'il s'agit d'une science humaine ou sociale. En effet, la réalité est que les marchés sont enclins à des comportements imprévisibles, à des réactions excessives ou à l’apathie, aux manies irrationnelles ou à la panique. Le fait qu’ils reflètent ces comportements ne suppose pas une sagesse supra-humaine. Les marchés ne sont que le miroir des travers psychologiques humains : peur, avidité, illusion et perte de contact avec la réalité.
Dès lors, nous avons souhaité au sein d’Oriskany, mettre en place des processus qui prennent en compte les dernières recherches académiques sur le sujet. Les sciences sociales avec logique de population tout comme les sciences de la nature (physique, biologie, etc.) intègrent des concepts qui acceptent l’incertitude, en plus du hasard. Si ce dernier est facilement modélisable, surtout en finance par l’utilisation des modèles issus de la MPT, l’incertitude est en revanche impossible à décrire en l’état actuel des savoirs. Le choix de bon nombre d’acteurs de l’asset management est d’écarter ces environnements de marché incertains en les qualifiant « d’épiphénomènes ». Le monde actuel avec ses chocs à répétitions prouve que l’incertitude est maintenant un nouveau “normal”. L’humilité de ne pas savoir devient une vertu. En effet, dans certaines configurations de marché, les outils et modèles issus de la MPT ont une grande probabilité de faillir. Il faut donc admettre ses limites. Nous avons simplement mis en place des processus qui s’appuient sur des données intelligentes de marché qui nous préviennent avec un bon intervalle de confiance, de l’arrivée de l’incertitude. Nos stratégies s’adaptent automatiquement à la dénormalisation probable des comportements des investisseurs et à leur irrationalité, sans essayer de les décrire car cela reste également impossible.
Cette humilité permet d’amortir naturellement les mouvements excessifs des marchés tout en profitant des hausses. Les résultats des stratégies que nous construisons pour nos clients ont le mérite d’être résilientes et plus stables que celles proposées par d’autres contreparties : elles disent ce qu’elles font et font ce qu’elles disent.
Cette nouvelle manière de considérer les marchés financiers peut surprendre certains de vos prospects et clients du fait de leur méconnaissance de ces approches, comment réussissez-vous à les convaincre et comment vous assurez-vous que les stratégies que vous leur proposez vont respecter leur cahier des charges ?
La crise financière de 2008 a eu pour conséquence d’inonder le monde de liquidités par l’action des banques centrales. Dans cet environnement, gérer des actifs et créer de la valeur est relativement aisé. Depuis 40 mois, le monde a changé : les banques centrales retirent cette liquidité, la guerre, l’inflation, les enjeux sociétaux défendus par les uns ou les autres parfois avec véhémence, etc. Ces chocs difficiles à prévoir et les mouvements de marchés violents qui en résultent contribuent à une forme d’épuisement chez les professionnels et les investisseurs. Notre approche philosophique épistémologique et académique résonne en eux car ils vivent cette incertitude dans leur « chair », et ils entendent enfin qu’il y a des solutions à leurs difficultés. Beaucoup de nos prospects et clients nous accueillent alors avec bienveillance. Nous faisons preuve avec eux de pédagogie et de patience car les délais de décision se sont rallongés. Nous montrons nos résultats et généralement, cela suffit pour convaincre. L’une des raisons de notre succès est aussi que nous ne sommes pas Asset Manager, mais concepteur de stratégies personnalisées qui sont ensuite « produites » par un grand groupe bancaire avec lequel nous avons noué un partenariat. Nous ne venons pas avec un « produit du mois » qui a bien fonctionné du fait d’un environnement de marché particulier ou avec une gamme de produits qu’il faut pousser d’une manière ou d’une autre. Au sein d’Oriskany, nous nous concentrons sur ce que nous savons faire : construire des processus de gestion rigoureux. L’acte de passer les ordres, comptabiliser et valoriser sont délégués. Pour les clients, notre approche est un vent frais et une certitude que nous nous concentrons sur ce en quoi nous sommes compétents et qui est crucial pour eux.
Pouvez-vous expliquer comment les stratégies d’investissement d'Oriskany prennent en compte les facteurs de risque usuels comme la volatilité des marchés ou les scénarios économiques incertains ?
La MPT s'est largement appuyée sur les estimations des rendements attendus, des volatilités et des corrélations pour prédire le risque d'un portefeuille. Cela a donné lieu à la pratique de l'"optimisation”, qui consiste à choisir les meilleures allocations possibles sur la base de ces estimations. Il s'agit là d'un excès de confiance, un biais comportemental bien connu. Le monde est beaucoup plus imprévisible que ne le prévoient les modèles, de sorte que les estimations futures des volatilités et des corrélations sont forcément erronées (d'autant plus que l'horizon temporel de la prédiction s'allonge). Les solutions optimales ne sont donc optimales que pour un seul état du monde et ne sont généralement pas robustes.
Il faut donc s’éloigner de la volatilité ou plus globalement du concept des corrélations pour faire de la véritable gestion des risques et pour ce qui est prise de décisions d’investissement. Nous avons fait le choix d’utiliser des modèles naïfs, c’est-à-dire avec peu de paramètres et sans excès abusif « d’intelligence ». Cependant, nous nous assurons qu’ils sont utilisés dans un état du monde où ils ont une bonne probabilité de créer de la valeur.
Pour mesurer nos résultats, nous regardons des indicateurs standards de marché tel que le célèbre « Sharpe Ratio » qui indique l'excès de rentabilité par rapport au taux sans risque, divisé par le risque du portefeuille, le « maximum drawdown » qui est la perte maximale enregistrée par la stratégie sur une période donnée, les 15 dernières années en ce qui nous concerne ou encore le « recovery » qui est le délai que met la stratégie à récupérer de la perte maximale qu’elle a connue. In fine, ce qui nous intéresse, c’est que la stratégie se comporte de manière continue et linéaire, ce que ne peuvent pas prétendre nos concurrents qui ne s’appuient que sur la MPT.
Qu'en est-il de la transparence/conformité de ces nouveaux processus ?
L’une des innovations de notre approche est que nous sommes le meilleur ami des responsables de la conformité et de la compliance de nos clients. Nous créons des stratégies, mais nous ne les gérons pas. Nous livrons les processus de gestion à l’un des plus grands groupes bancaires européens qui se charge ensuite de les produire et les livre dans un format « digeste » pour nos clients : compartiment de fond, notes, certificats, AMC, etc. Comme ce groupe bancaire traite avec 99% de l’industrie, nous sommes à peu près sûrs que les contrôles de conformité ont été déjà effectués dans le passé et que les contrats sont déjà en place pour que nos clients puissent acheter les produits qu’ils désirent. En d’autres termes, nous proposons une lecture innovante des marchés financiers incorporée à des processus d’achat usuels et rôdés. Cela rassure nos clients qui voient leurs actifs déposés et gérés par une entité bancaire solide.
Ce partenariat que nous avons noué est aussi un gage d’absence de conflit d'intérêt : les reportings, la valorisation et la liquidité sont effectués par cette banque qui en garantit l’indépendance et la transparence. Oriskany n’intervient en rien dans ces fonctions.
Pouvez-vous nous en dire plus sur de potentielles innovations qu’Oriskany est en train de développer ?
Nous comptons à terme développer Oriskany dans 2 directions :
• Continuer de fournir une lecture différente des marchés financiers basés sur un corpus académique rigoureux provenant de la physique, de la génétique et de la biologie. Les modèles financiers ne sont pas pour autant ignorés, mais seront complétés par des données intelligentes proposées par des sociétés de recherche tierse provenant des domaines susmentionnés. Nous allons pour cela recruter des data scientists afin de nous aider à sélectionner et intégrer des données supplémentaires.
• Afin de s’assurer de l’intégration harmonieuse de ces données intelligentes, nous allons investir dans la technologie afin de rendre nos processus métiers encore plus scalables. Notre projet est de créer une plateforme digitale qui intègre un atelier de conception de stratégie sur base d’un moteur de machine learning. Notre enjeu est la capacité à industrialiser la personnalisation et centraliser les processus métier du front office. L’idée est d’être capable de proposer la construction d’une stratégie (back-test sur 15 ans) sur base des données disponibles sur la plateforme (historique de cours des actifs financiers, dataset et modèles financiers) et d’en délivrer le processus écrit en quelques heures.
Merci à Hervé Kias, Head of Advisory & CFO, Oriskany pour son analyse.